Exclusions du chômage : sur les 140 communes les plus touchées…139 sont wallonnes ou bruxelloises !
Depuis plusieurs mois, la FGTB dénonce la réforme qui prévoit de limiter dans le temps l’accès aux allocations de chômage. Cette mesure, présentée par le ministre MR de l’emploi David Clarinval comme une mesure d’économie budgétaire visant à inciter au retour à l’emploi, aura en réalité des conséquences explosives et à l’opposé de son objectif annoncé, notamment pour les communes les plus fragiles. Grâce à une analyse chiffrée, la FGTB Bruxelles et la FGTB Wallonne dressent un constat glaçant. Florence Lepoivre et Jean-François Tamellini nous livrent leur lecture des chiffres… et leur appel à la mobilisation.
Vous disposez de chiffres très parlants sur les exclusions par commune. Que révèlent-ils ?
Jean-François Tamellini : Ce qu’ils révèlent, c’est un véritable scandale social et institutionnel. Sur les 100 communes les plus touchées par la réforme, 100 sont en Wallonie ou à Bruxelles. Liège, Charleroi, Seraing, Verviers, La Louvière, Farciennes, Herstal… toutes ces villes sont dans le top 50. Et elles n’y sont pas par hasard : ce sont des bastions industriels qui ont été laminés pendant des années par les ravages de la logique capitaliste. Aujourd’hui, on vient leur dire que leurs habitants coûtent trop cher à la collectivité. C’est à la fois injuste et indécent.
Il faut être clair : il ne s’agit évidemment pas de sous-estimer l’impact de ces mesures en Flandre ni d’établir une hiérarchie régionale. Derrière les chiffres dont se félicite la majorité fédérale se cachent autant de personnes et de situations difficiles. Chaque exclusion est un drame social pour la personne touchée, sa famille, ses enfants, ses proches. Et le poids de l’exclusion est aussi lourd à porter, que l’on vive au nord, au centre ou au sud du pays.
La FGTB reste viscéralement attachée aux solidarités interpersonnelles et interrégionales et au caractère fédéral de la Sécurité sociale, comme on le prouvera encore ce mercredi 25 juin, à la manif nationale en front commun. La division, les réformes institutionnelles cachées, l’aggravation des inégalités, ce n’est pas de notre côté qu’elles se trouvent. C’est la stratégie de la N-VA et de ses alliés MR et Engagés de l’Arizona. « La réforme la plus communautaire que vous puissiez faire est de limiter le chômage dans le temps. » Cette phrase, ce n’est pas la FGTB qui l’a prononcée, c’est Bart De Wever ! Pendant que la Flandre rachète l’aéroport national, la Wallonie et Bruxelles vont devoir renflouer les CPAS. C’est bien de mettre un petit drapeau belge sur son costume, mais ceux qui s’apprêtent à voter cet accord pourront le troquer contre un pins du lion flamand.
Florence Lepoivre : Ce qu’on découvre, c’est une vérité brute : les exclusions vont frapper massivement des communes déjà très fragilisées. Saint-Josse, Molenbeek, Saint-Gilles, Bruxelles-Ville, Schaerbeek… toutes ces communes dépassent les 3,5 à 4 % de leur population touchée par une exclusion. Ce sont des communes qui cumulent déjà de nombreuses difficultés : pauvreté, chômage de longue durée, population jeune et diverse, discriminations structurelles. En 2023, 28 % de la population bruxelloise vivait sous le seuil de risque de pauvreté, contre 8 % en Flandre et 15 % en Wallonie. Les inégalités sociales sont particulièrement marquées dans la capitale, et exacerbées par les dépenses liées au logement qui ont notamment fait exploser le sans-abrisme.
Si l’on regarde dans l’autre sens, la première commune flamande dans le classement – Anvers – arrive seulement à la 140e place, avec 1,8 % de sa population concernée. Autrement dit : cette réforme concentre les exclusions dans les zones déjà les plus vulnérables.
Vous avez aussi comparé ces données avec l’indice IPP (impôt des personnes physiques). Qu’est-ce que cela révèle ?
Florence Lepoivre : Ce croisement est fondamental. Il confirme que plus une commune est pauvre, plus elle est frappée par la réforme. À Bruxelles, certaines communes affichent un revenu moyen par habitant 30 à 40 % en dessous de la moyenne nationale. Et ce sont ces mêmes communes dont les CPAS devront, demain, prendre en charge des milliers de personnes exclues du chômage, en plus de toutes les personnes qu’ils accompagnent déjà. C’est une double peine : on coupe l’allocation à des personnes déjà précaires, et on transfère la charge aux communes… qui n’ont ni les moyens ni les compétences et ressources fiscales pour assumer cela.
Jean-François Tamellini : Ce n’est pas une mesure de responsabilisation, c’est un transfert pur et simple de la gestion financière de la pauvreté entre entités politiques. C’est une façon pour le fédéral de se débarrasser de ses responsabilités sociales, de casser la solidarité entre les travailleuses et travailleurs de ce pays. La sécurité sociale est un système fondé sur la solidarité nationale. Avec cette réforme, on passe d’un système de droits à une logique d’assistance sociale et de survie au niveau local. Ceux qui pourront encore être aidés devront frapper à la porte d’un CPAS… s’il leur reste encore un budget pour ça. Les principales victimes de cette réforme seront celles et ceux qui vivent dans les quartiers populaires, dans les anciens bassins industriels, ceux que le marché de l’emploi laisse au bord du chemin. C’est une violence sociale délibérée. Plus largement, c’est l’ensemble de la population de ces communes qui sera touchée : face à l’explosion des budgets CPAS, les communes n’auront pas d’autre choix que d’augmenter la fiscalité, restreindre leurs services à la population ou en augmenter les tarifs.
Peut-on parler d’une réforme qui creuse les inégalités territoriales ?
Jean-François Tamellini : Absolument. Sur les 250 communes les plus touchées, on retrouve 19 sur 19 à Bruxelles, 225 sur les 261 que compte la Wallonie… et seulement 6 en Flandre ! C’est une réforme structurellement déséquilibrée, qui va appauvrir encore davantage les régions déjà les plus fragilisées. C’est une réforme de la droite flamande imposée à des réalités wallonnes et bruxelloises, sans tenir compte des réalités locales. Une réforme institutionnelle qui ne dit pas son nom, menée à la hussarde, sans consultation approfondie, et sans la majorité des deux tiers.
Florence Lepoivre : C’est une rupture du pacte fédéral. Le gouvernement Arizona est en train de démanteler la solidarité entre les régions, entre les Belges. La N-VA ne s’en cache pas : elle veut l’éclatement de la sécurité sociale. Ce qui est plus choquant, c’est que le MR et les Engagés accompagnent et facilitent cette stratégie. Et qui va payer la note ? Les Bruxellois et les Wallons, à travers l’explosion de la pauvreté, des charges pour les CPAS et de la colère sociale.
Pour vous, cette réforme remet en cause l’essence même de la sécurité sociale ?
Florence Lepoivre : Oui, complètement. On remplace la sécurité sociale par la charité. On transfère la responsabilité au niveau local, sans les moyens, sans coordination, sans vision. C’est l’inverse de l’État social pour lequel nous nous battons au quotidien. Et ça nourrit un climat de ressentiment, de stigmatisation, de haine sociale qui alimente l’extrême-droite. Le plus grave, c’est que le MR joue ouvertement sur ces tensions. En opposant les « travailleurs flamands qui paient » aux « chômeurs wallons ou bruxellois qui profitent », en multipliant les caricatures sur les allocataires sociaux, il alimente un discours de division et de rejet. C’est une stratégie cynique et dangereuse : au lieu de construire la cohésion sociale, on attise les haines… pour quelques voix de plus sur le terrain de l’extrême droite.
Jean-François Tamellini : Ce que fait aujourd’hui le MR, c’est de la trumpisation pure et simple : désigner des boucs émissaires, jouer sur les peurs, simplifier à outrance des réalités complexes pour diviser, et même mentir sans scrupules. C’est une dérive grave pour un parti dit « démocratique ». En attaquant la sécurité sociale, en stigmatisant les sans-emploi, ils sapent les fondements mêmes de notre modèle social. Et ils prennent la responsabilité historique d’affaiblir le vivre-ensemble dans ce pays. À ce niveau-là, le silence des Engagés est assourdissant…
Quel message voulez-vous adresser aux parlementaires wallons et bruxellois ?
Florence Lepoivre : Ils ne peuvent ni se taire, ni détourner le regard. Cette réforme, c’est une attaque frontale contre leurs électeurs, contre leurs communes, contre tout ceux qu’ils sont censés défendre. Elle piétine les fondements de la solidarité, aggrave les inégalités, fracture le pays. Ce n’est pas une réforme technique. C’est un choix de société. Et ils ont le pouvoir – et le devoir – de dire non. Parce que ce sont leurs villes, leurs CPAS, leurs concitoyens qui vont en payer le prix.
Jean-François Tamellini : Nous leur disons clairement : ce vote engage votre responsabilité. Il engage l’avenir de centaines de milliers de familles. Il engage l’équilibre de nos finances locales. Il engage la cohésion sociale de tout un pays. Voter cette réforme, c’est valider une logique d’appauvrissement structurel, c’est entériner la fin d’une sécurité sociale fédérale solidaire, c’est abandonner les plus vulnérables au nom d’une idéologie. Nous attendons d’eux non pas des discours compatissants, mais des actes de résistance clairs : on ne peut pas signer des chèques sur le plateau de Viva for life d’une main et voter l’exclusion de 180.000 personnes de l’autre. Il est encore temps de bloquer cette réforme injuste, antisociale, et totalement contreproductive.
Vous parlez d’une réforme contreproductive. Pourtant, le ministre Clarinval affirme qu’elle vise à remettre les chercheurs d’emploi sur le marché du travail. Pourquoi n’y croyez-vous pas ?
Jean-François Tamellini : Si l’objectif était réellement de remettre les gens à l’emploi, on investirait dans la formation, dans l’accompagnement, dans les parcours personnalisés vers l’emploi. Au lieu de ça, on brandit la sanction, l’exclusion, la menace, comme si les Wallons se vautraient dans l’oisiveté du chômage, comme si c’était un choix délibéré ou un objectif de carrière… Mais dans les bassins industriels wallons, comme à Bruxelles, les exclus du chômage ne sont pas des profiteurs. Ce sont des personnes parfois très éloignées de l’emploi, qui ont besoin de temps, de soutien, de reconnaissance. Leur retirer leurs droits, ce n’est pas les activer. C’est les enfoncer un peu plus.Et il y a également toute une frange de travailleurs et travailleuses précaires qui enchaînent intérim, contrats courts et périodes de chômage. Ces personnes-là seront également exclues !
Florence Lepoivre : Cette réforme va à l’opposé de ce que nous observons sur le terrain. À Bruxelles, un des principaux freins à l’emploi – en dehors de la discrimination à l’embauche – est le décalage entre les qualifications demandées par les employeurs et le profil des chercheurs d’emploi. Ce n’est pas un manque de volonté. C’est un manque de reconnaissance, de formation, de passerelles. Malgré les obstacles, des milliers de Bruxellois s’engagent dans des parcours de formation. Ce sont des personnes très précarisées : 43 % sont BIM, 63 % peu qualifiées, 36 % ont un diplôme non reconnu. Près de la moitié ne peuvent pas faire face à une dépense imprévue. Et malgré cela, elles s’accrochent. Mais que fait la réforme ? Elle brise cette dynamique. En menaçant d’exclusion en cours de parcours, elle dissuade l’entrée en formation. C’est ce que dénonçait le conflit d’intérêt de la COCOM, que nous soutenons pleinement. Et c’est ce que vivent déjà les opérateurs bruxellois, qui voient des personnes abandonner leurs projets par peur de tout perdre.
Que dit cette réforme du projet de société porté par la majorité actuelle ?
Florence Lepoivre : Cette réforme s’inscrit dans une stratégie plus large. À côté des exclusions, le programme de l’Arizona prévoit l’annualisation du temps de travail, l’extension des flexi-jobs, la fin du 1/3 temps minimum, l’élargissement du travail de nuit et étudiant, l’introduction de l’intérim à durée indéterminée, et une nouvelle définition de l’emploi « convenable » qui permettra bientôt d’imposer un emploi jusqu’à 20 % moins bien payé que l’allocation de chômage. C’est un basculement idéologique. On passe de l’État social à l’État sanction. D’un droit à l’emploi décent à une obligation de prendre n’importe quel boulot, à n’importe quel prix. Le gouvernement Arizona détruit méthodiquement les filets de sécurité collectifs.
Jean-François Tamellini : Ce n’est pas une politique d’activation. C’est un plan de précarisation généralisée, un affaiblissement des protections collectives, une mise sous pression permanente des personnes avec et sans emploi. Et derrière tout ça, il y a un objectif très clair : tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. Quand on menace les chômeurs de sanctions, on affaiblit la capacité des travailleurs à négocier leurs conditions de travail. Quand on élargit les statuts précaires, on fragilise l’ensemble du marché du travail. On l’a dit, et on le répète : le vrai but de cette réforme, ce n’est pas de remettre les gens à l’emploi – et encore moins dans un emploi digne. Le vrai but, c’est de faire pression sur l’ensemble du monde du travail, au nom de la compétitivité et des profits pour modifier la distribution de richesses en faveur des entreprises et des actionnaires.
La précarisation de l’assurance chômage et la flexibilisation du marché de l’emploi sont les deux faces d’une même pièce, des revendications patronales, qui répondent surtout à la situation en Flandre. Elle est quasiment au plein emploi : malgré les mesures d’activation, elle a atteint un seuil de chômeuses et chômeurs que les entreprises flamandes ne sont pas prêtes à engager, car elles les considèrent comme pas assez productifs, trop âgés, pas assez qualifiés, voire trop wallons, comme l’a récemment montré une étude de l’Université de Gand. Et la Flandre n’est pas prête (et c’est un euphémisme) à faire appel à de la main d’œuvre étrangère. L’objectif est d’augmenter le taux de productivité des entreprises flamandes. Sauf qu’appliquer les mêmes recettes en Wallonie et à Bruxelles aura pour conséquences d’augmenter la précarité mais pas le taux d’emploi durable. En Wallonie, les travailleurs en ALE, dont une majorité travaille dans les écoles, seront exclus et remplacés par des pensionnés en flexi-jobs. Et, parallèlement, le ministre wallon de l’emploi veut réformer l’accompagnement FOREM dans une logique plus répressive. Par contre, on attend toujours qu’il remplisse son rôle de ministre de l’Économie : où sont les créations d’emploi durables ? On ne voit que des fermetures d’entreprise, et on n’a toujours aucune certitude quant à l’approvisionnement énergétique.
Ses attaques contre le non marchand ou les services publics visent aussi à transférer des parts de marché vers le privé ; dans des secteurs qui doivent pourtant être immunisés de logiques de profits. Pas étonnant si on suit cette logique de sacralisation des gains de productivité que certains se permettent de remettre en cause l’importance de la culture…
Vous dites que la réforme vise à faire pression sur l’ensemble du monde du travail. Pour vous cette réforme aura un impact au-delà des seuls demandeurs d’emploi ?
Florence Lepoivre : Parce que ce type de réforme ne s’arrête jamais aux personnes sans emploi. En affaiblissant les droits des chômeurs, on affaiblit tous les travailleurs. C’est une pression implicite : acceptez n’importe quelles conditions, parce que sinon, la chute est brutale. Le nouvel emploi « convenable », tel que défini par l’Arizona, pourra même offrir un revenu 20% inférieur à l’allocation de chômage. Que signifie encore la dignité dans ces conditions ?
Ce que le gouvernement organise, c’est un nivellement vers le bas des droits, des protections, des salaires. La précarité des uns devient un levier pour faire pression sur tous les autres. Et cela concerne autant les salariés du public que du privé, les jeunes que les anciens, les employés que les ouvriers. C’est une spirale de déclassement.
Jean-François Tamellini : C’est un glissement très dangereux. Cette réforme transforme le chômage en outil de chantage généralisé. Et elle s’inscrit dans une vision du travail purement utilitariste, où tout doit être flexible, adaptable, jetable. Or un travailleur qui a peur de tomber dans la pauvreté est un travailleur qui accepte plus facilement des conditions dégradées. On est dans une logique de compétitivité à courte vue, dictée par les lobbys patronaux. Et ça, ce n’est pas seulement une erreur économique : c’est un projet de société régressif, qui tourne le dos à l’émancipation, à la justice sociale, à l’égalité des chances. Et qui risque, à terme, de faire exploser les tensions sociales.
Le gouvernement insiste beaucoup sur la responsabilisation des demandeurs d’emploi. Mais pour vous qu’en est-il de la responsabilisation des employeurs ?
Florence Lepoivre : C’est l’un des grands angles morts de la politique d’emploi portée par ce gouvernement Arizona. On impose des obligations toujours plus strictes aux demandeurs d’emploi – sous peine de sanctions, d’exclusions, de radiation – mais aucune exigence sérieuse n’est posée aux employeurs. Et pourtant, ce sont eux qui bénéficient massivement d’argent public. En Belgique, les entreprises reçoivent chaque année plus de 52 milliards d’euros d’aides publiques, sous différentes formes : réductions de cotisations patronales, subsides à l’embauche, aides à la formation, exonérations fiscales… C’est colossal, surtout quand on compare cela au coût du chômage complet, qui représente environ 4 milliards d’euros soit moins de 3% du budget de la sécurité sociale. Autrement dit, on consacre sept fois plus de moyens publics à soutenir les entreprises qu’à protéger les travailleurs privés d’emploi. Et pourtant, ce sont toujours les chômeurs qu’on désigne comme le problème, qu’on accuse de « passivité », qu’on veut pousser à accepter n’importe quel emploi, dans n’importe quelles conditions.
Mais qui ose poser la question des contreparties pour les employeurs ? Où sont les obligations en matière de création d’emploi durable, de formation interne, de respect de l’égalité des chances à l’embauche ? À Bruxelles, des milliers de personnes diplômées, qualifiées, motivées, sont écartées du marché du travail pour des raisons qui tiennent à leur origine, leur sexe, leur âge, ou leur code postal. La discrimination reste massive, documentée, mais impunie. Et ce n’est pas seulement notre constat : Unia l’a encore rappelé dans une analyse publiée le 17 juin dernier. Unia souligne que sans politique de lutte contre la discrimination à l’embauche, cette réforme produit une double peine : exclure du chômage des personnes qui sont déjà discriminées par le marché du travail. Leur conclusion est limpide : « On ne peut pas vouloir activer les chercheurs d’emploi tout en fermant les yeux sur les discriminations structurelles qui les empêchent d’être engagés. » Unia appelle à activer les contrôles, à imposer des obligations aux employeurs, à rendre les politiques d’égalité contraignantes. Ce sont ces exigences-là que nous portons aussi. La responsabilisation doit être collective. On ne peut pas construire une société solidaire en culpabilisant en permanence les plus fragiles, tout en exonérant systématiquement les plus puissants de leurs responsabilités sociales.
Jean-François Tamellini : C’est toute la logique du gouvernement Arizona qui est perverse. Le gouvernement a fait le choix de stigmatiser les sans-emploi plutôt que d’interroger les choix économiques et patronaux qui précarisent massivement le travail. Et pourtant, ce sont bien les grandes entreprises qui reçoivent les aides publiques les plus importantes, souvent sans aucune condition, ni contrôle. Beaucoup continuent à licencier malgré les subsides, à externaliser, à automatiser, à recourir à des statuts précaires. Il est temps d’en finir avec cette logique de chèque en blanc… Mais où sont les obligations pour les entreprises qui reçoivent de l’argent public et continuent malgré tout à externaliser, automatiser, précariser ? Nous, ce que nous demandons, c’est un cadastre des aides publiques aux entreprises, une transparence totale, et des conditions strictes : pas d’aide sans formation, sans embauche locale, sans égalité de traitement. Et surtout, il faut inverser la logique du soupçon. Parce que dans le fond, le véritable déséquilibre, il est là : ceux qui ont le plus de moyens échappent à toute responsabilité, pendant que ceux qui ont le moins de marges sont constamment surveillés, sanctionnés, stigmatisés. Ce modèle est non seulement injuste, il est inefficace et profondément toxique pour la cohésion sociale.
Et la logique du gouvernement wallon est la même : au lieu de développer des politiques positives de formation pour mieux faire correspondre les compétences des demandeuses et demandeurs d’emploi avec le marché de l’emploi, il va renforcer le volet répressif de l’accompagnement FOREM. Et dans le même temps, on apprend le scandale du détournement par plus de 250 entreprises wallonnes (voire bien plus) d’aides publiques à la formation. Le ministre Jeholet veut exclure des sans emploi au lieu de les former pendant que les entreprises détournent de l’argent public destiné… à la formation : cherchez l’erreur !
Quelle riposte possible face à cette réforme ?
Jean-François Tamellini : Il ne suffit pas de dire non. Il faut construire un autre oui. Oui à une sécurité sociale forte et solidaire. Oui à des services publics capables d’accompagner chacun. Oui à une fiscalité équitable qui ne fait pas peser le poids de la crise sur les plus précaires. Le combat contre cette réforme, c’est le combat pour un autre cap. Il appartient maintenant aux parlementaires, aux responsables politiques, aux citoyennes et citoyens de choisir leur camp. Parce que derrière cette réforme, il y a une question centrale : veut-on d’un pays où l’on organise l’exclusion, où il y a deux fois plus de personnes au CPAS que de chômeuses et chômeurs indemnisés, ou d’une société qui ne laisse personne au bord du chemin ?
La meilleure réponse à cette réforme, c’est la mobilisation. L’histoire sociale nous montre que c’est quand les gens s’organisent, s’unissent, refusent collectivement l’inacceptable, qu’on peut inverser le cours des choses. Il ne faut pas se laisser piéger par l’impuissance ou la résignation. On ne peut pas laisser faire en silence une réforme qui attaque les plus fragiles, qui fracture le pays, qui organise la misère. La riposte, c’est maintenant. Elle doit être massive, déterminée, et solidaire. C’est ensemble qu’on fera tomber cette réforme.
Florence Lepoivre : Oui, et elle est plus nécessaire que jamais. Nous appelons les parlementaires à prendre leurs responsabilités, mais aussi les citoyens, les associations, les syndicats, les CPAS, les communes… Ce combat dépasse largement le cadre syndical : c’est un enjeu de société. Il s’agit de défendre un modèle solidaire contre une vision brutale et individualiste. Si cette réforme passe, ce sera un tournant catastrophique pour notre sécurité sociale. Mais nous refusons de céder au fatalisme. Cette réforme n’est pas une fatalité, c’est un choix politique. Et à un choix politique, on peut opposer un autre projet. Celui d’un État social du XXIe siècle, qui garantit à chacun le droit à un revenu digne, à la formation, à un emploi de qualité. Un modèle basé sur la solidarité réelle, sur la justice sociale, pas sur la stigmatisation et le soupçon. Ce projet ne pourra exister que si nous sommes nombreux à le défendre, sur le terrain, dans les communes, dans les mobilisations. C’est pour cela que la FGTB Bruxelles appelle toutes les forces progressistes à faire front commun, dans la rue comme dans les parlements. La marche forcée que nous impose le gouvernement De Wever peut encore être stoppée. Mais il faut du courage. Et de la détermination.
« Chomeurs, glandeurs » ? La réalité derrière les clichés
« Les chômeurs, tous des fainéants », « Les allocations sont trop élevées », « Ils profitent du système »… Sur les réseaux sociaux, les insultes sur les chômeurs pleuvent. Syndicats Magazine revient sur les préjugés qui entourent le chômage et en particulier les demandeurs et demandeuses d’emploi dits « de longue durée ».
Ce mardi 3 juin, la FGTB Bruxelles, avec la CSC et plusieurs associations bruxelloises, a organisé une marche contre les exclusions du chômage orchestrées par le gouvernement Arizona. Ces exclusions toucheraient 180.000 personnes. Parmi elles, 80 % vivent en Wallonie et à Bruxelles.
Syndicats Magazine a interviewé Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles. Elle déconstruit les préjugés les plus répandus et explique pourquoi cette réforme risque de plonger des milliers de familles dans plus de précarité.
Une interview de Ioanna Gimnopoulou
« Les chômeurs, tous des fainéants. Il faut les remettre au travail »
Florence Lepoivre : Beaucoup de gens ont l’impression que les personnes au chômage n’ont jamais travaillé. C’est faux. Il faut savoir que pour sortir des statistiques de chômage de longue durée, il faut une période ininterrompue de travail de 3 mois. Ce qui est de plus en plus difficile avec la précarisation de l’emploi et la multiplication des contrats courts et intérimaires. Prenons l’exemple de Nadia : elle travaille 2 mois en CDD dans la vente, retombe 10 jours au chômage puis enchaîne un intérim de 10 semaines. Au total, elle a travaillé 4,5 mois sur 5, mais est toujours considérée comme « chômeuse de longue durée ». En tant qu’organisation chargée du paiement des allocations, nous constatons qu’un tiers des chômeurs de longue durée ont retravaillé depuis qu’ils ont dépassé les 2 ans de chômage. Mais ils n’ont pas trouvé d’emploi suffisamment stable pour sortir des statistiques.
Il ne faut pas oublier non plus que la recherche active d’emploi est une obligation : en cas d’évaluation négative, des sanctions tombent. Les sanctions peuvent aller jusqu’à la perte des allocations pendant des mois ou de manière définitive. S’ils sont indemnisés, c’est qu’ils cherchent du boulot activement mais… n’en trouvent pas !
« Les allocations de chômage sont trop élevées. Ça n’incite pas les gens à chercher du travail ».
Florence Lepoivre : Tout d’abord, le taux de remplacement du salaire perdu en début de chômage est de 65% du salaire brut. Mais attention : le salaire pris en compte est plafonné à 3.432 euros brut. Quelqu’un qui a un bon salaire à la base perdra donc énormément dès qu’il tombera au chômage.
Mais ce qui est inquiétant, c’est que dans la majorité des cas, à cause de la dégressivité, les allocations tombent rapidement sous le seuil de pauvreté. Une personne isolée reçoit 1.437 euros alors que le seuil de pauvreté est fixé à 1.520 euros… Soit 6% de moins. Est-ce que c’est généreux ? Certainement pas…
On entend aussi souvent que le chômage est « trop élevé » par rapport au salaire minimum. Pourtant, une personne seule au chômage reçoit 1.437 euros, tandis qu’une personne seule travaillant à temps plein reçoit 1.970 euros (salaire minimum légal). Il y a donc une différence de 518 euros. La droite a fait campagne en promettant 500 euros de différence. Cet écart est déjà là ! Autre cas concret : pour une personne cohabitante, le chômage s’élève à 745 euros. Si elle travaillait à temps plein, elle gagnerait 1.970 euros. La différence est de… 1225 euros !
Certes, il y a certains cas où cette différence est moins importante. Mais la vraie question est : Faut-il limiter les allocations de chômage, ou faut-il reconnaître que le salaire minimum est trop bas ? Est-ce qu’on ne devrait pas mieux récompenser le travail au lieu de pénaliser celles et ceux qui n’en trouvent pas ?
Est-ce qu’on ne devrait pas mieux récompenser le travail au lieu de pénaliser celles et ceux qui n’en trouvent pas ?
Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles
« Ils sont au chômage depuis 20 ans. Ils profitent du système ».
Florence Lepoivre : Sur 290.000 demandeurs d’emploi indemnisés en Belgique, à peine 12.000 sont inscrits depuis plus de 20 ans. Soit, une infime minorité. Et s’ils reçoivent une allocation de chômage, c’est parce qu’ils cherchent activement un emploi et subissent des contrôles réguliers pour le vérifier. Sans quoi, ils seraient automatiquement exclus du système. Donc, est-ce que le problème vient de ces personnes… ou du marché du travail qui ne leur permet pas de trouver un emploi stable ?
Il faut aussi parler de la question des discriminations sur le marché de l’emploi. Celles que subissent les personnes d’origine étrangère, les jeunes, les personnes âgées, la communauté LGBTQIA+… À Bruxelles, plus de la moitié des chômeurs de longue durée ont plus de 50 ans. Parmi eux, seuls 37,5% parviennent à retrouver un emploi. La discrimination liée à l’âge est flagrante.
« Limiter le chômage dans le temps ça va obliger les gens à aller travailler ».
Florence Lepoivre : Limiter le chômage dans le temps ne créera pas d’emploi. Certaines personnes privées du revenu de remplacement (l’allocation de chômage) retrouveront éventuellement un travail. Mais dans quelles conditions ? On va forcer les gens à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix, avec de moins bonnes conditions de travail.
Et ces mesures auront un impact sur l’ensemble du monde du travail. On assiste à une dérégulation complète du marché de l’emploi : annualisation du temps de travail, fin de la limite du 1/3 temps, travail de nuit moins bien rémunéré, extension des flexi-jobs et du travail étudiant, travail intérimaire à durée indéterminée… À titre d’exemple, on va proposer des contrats de 5h ou même d’une heure de travail par semaine. Est-ce vraiment la société dans laquelle on veut vivre ? Est-ce qu’on veut pousser des gens vers ce genre de contrats précaires ?
« Il y a plein de métiers en pénurie et de flexi-jobs. Ils peuvent travailler dans ces métiers-là ».
Florence Lepoivre : C’est un argument régulièrement avancé à droite, avec à l’appui le chiffre de 180.000 emplois vacants en Belgique. Mais ces postes concernent en majorité des métiers pénibles et qui demandent une formation de base. Prenons l’exemple de la boucherie : ce n’est pas un métier que tout le monde peut exercer. Demander à une caissière de Cora d’aller travailler dans un abattoir, ce n’est pas réaliste. 180.000 emplois vacants oui, mais il y a aussi au total, 550.000 demandeurs d’emploi. Il restera donc toujours des gens sans emploi.
Parmi les obstacles principaux au recrutement l’on retrouve les exigences des offres disproportionnées, les discriminations à l’embauche, les conditions de travail dégradées et la pénibilité croissante. Dans toute logique économique saine, les employeurs devraient améliorer les conditions de travail et de salaire pour attirer plus de candidats. Mais aujourd’hui, rien ne les y oblige.Le gouvernement Arizona a même fait le choix inverse de précariser davantage encore l’emploi.
Enfin, le gouvernement Arizona va exclure du chômage des demandeurs d’emploi en formation. À Bruxelles, beaucoup de gens suivent une formation pour augmenter leurs chances de trouver un emploi. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt les encourager à poursuivre cette formation en leur permettant de conserver leur allocation de chômage pendant qu’ils se forment pour trouver un emploi ?
« C’est pas grave s’ils sont exclus du chômage. Ils pourront toujours aller au CPAS ».
Florence Lepoivre : D’abord, seule une partie des exclus aura droit au CPAS. Contrairement au chômage qui est un système d’assurance, le CPAS est un système d’assistance, c’est-à-dire le dernier filet de sécurité. Comment cela fonctionne ? Les CPAS mènent des enquêtes sur la situation financière de la personne et de sa famille.
Prenons l’exemple d’un cohabitant : s’il vit avec quelqu’un qui a un revenu, il n’aura probablement pas droit à un revenu d’intégration sociale (RIS). Aujourd’hui, un cohabitant au chômage reçoit 745 euros. Imaginons un couple avec 2.700 euros de revenus. Si la personne au chômage perd ses allocations, le couple va perdre 1/3 de ses revenus. Cela signifie concrètement : trouver un logement moins cher, réduire les dépenses de santé, d’alimentation, de vêtements, de loisirs. Ajoutons à cela que beaucoup de gens ne se tourneront pas vers les CPAS parce qu’ils ne savent pas qu’ils y ont droit.
« Notre système de sécurité sociale coûte trop cher, il faut le réformer ».
Florence Lepoivre : La sécurité sociale a été créée après la Seconde Guerre mondiale sur un principe de solidarité : les travailleurs acceptent de ne pas gagner 100% de leur salaire pour qu’une partie de celui-ci soit versée dans un pot commun afin d’aider chacun et chacune à faire face aux aléas de la vie, comme la perte d’un emploi ou la maladie. Autrement dit, la sécurité sociale n’est pas un coût : c’est une part du salaire des travailleurs et travailleuses.
Mais depuis 40 ans, cette part du salaire est progressivement grignotée au nom de la compétitivité des entreprises. Par exemple, les employeurs cotisent moins pour le travail étudiant et les flexi-jobs. Il y a aussi toute une série de transferts de la sécurité sociale vers les entreprises. Selon l’étude d’Econosphères, rien qu’en 2022, 51,9 milliards d’aides publiques ont été accordées aux entreprises. Et de nouvelles aides continuent d’être accordées. Si seulement étaient conditionnées à créer de l’emploi, ok… Mais elles sont octroyées au détriment du financement de notre sécurité sociale, des travailleurs, des salaires, du travail et sans les conditionner à la création d’emplois.
On prétend que le chômage est trop coûteux. En réalité, il représente à peine 3% du budget de la sécurité sociale. Même si on excluait tous les chômeurs, cela ne ferait économiser que 3%. Est-ce que c’est vraiment dans ces 3 milliards qu’il faut chercher des économies ou dans les 51,9 milliards d’aides aux entreprises accordées sans contrepartie en terme d’emplois ?
« Le FOREM et Actiris ne sont pas efficaces. Ils ne remettent pas assez de gens au travail. »
Florence Lepoivre : La FGTB siège dans les comités de gestion du FOREM, d’Actiris, du VDAB qui travaillent quotidiennement à l’amélioration de la qualité des services. L’objectif est clair : aider les demandeurs d’emploi à retrouver du travail. Mais quand on est face à un gouvernement qui réduit leurs budgets, qui promeut des licenciements dans la fonction publique, quel est le résultat ? Elles ne disposent plus des moyens nécessaires pour exercer leurs missions correctement. Il faut redonner les moyens à ces services publics.
« Les syndicats défendent les chômeurs parce que ça leur rapporte de l’argent ».
Florence Lepoivre : Cette accusation est infondée. En réalité, cela coûte de l’argent aux syndicats. Nos services chômages assurent le paiement les allocations aux affiliés. Pour ce service au public, nous recevons une indemnité de l’ONEM. Or, selon un rapport de l’ONEM publié en 2022, cette indemnité n’est pas suffisante : les syndicats perdent 3 euros par dossier. Nous perdons donc de l’argent en effectuant cette mission.
Par ailleurs, les gens ont tendance à croire que les syndicats ont un intérêt à maintenir un certain niveau de chômage pour conserver des affiliés. Or, les cotisations payées par les chômeurs aux syndicats sont inférieures à celles des personnes qui travaillent.
« Ca ne devrait pas être les syndicats qui s’occupent du chômage, il devrait y avoir qu’un organisme public ».
Florence Lepoivre : C’est une raison historique qui explique que les syndicats s’occupent du chômage. À la fin de la deuxième guerre, ce sont les travailleurs eux-mêmes – sans aide de l’Etat – qui ont créé la sécurité sociale. Il était donc logique que ce fonds soit géré par les travailleurs et donc par leurs représentants, les syndicats.
De plus, le pacte social d’après-guerre entre travailleurs et employeurs, spécifiait que les syndicats prendraient en charge la gestion du chômage, tandis que les employeurs s’occuperaient des caisses d’allocations familiales. On ne remet pas en cause les caisses privées qui s’occupent des allocations familiales. Alors, pourquoi remet-on en question la gestion des dossiers de chômage par les syndicats ? L’objectif est d’affaiblir le monde du travail.
Pourquoi remet-on en question la gestion des dossiers de chômage par les syndicats ? L’objectif est d’affaiblir le monde du travail. Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles
Par ailleurs, il y a la question du coût pour les finances publiques, par dossier de chômage. Pour la CSC, il s’élève à 28,1 euros, pour la FGTB à 26 euros et pour la CAPAC à 44,1 euros. Passer par la CAPAC plutôt que par la FGTB coûte donc presque le double à la société. La qualité du service fourni par la FGTB est meilleure : les dossiers sont traités plus rapidement et moins d’erreurs sont commises.Nos affiliés peuvent également bénéficier de conseils juridiques et autres, qui n’existent pas à la CAPAC.
Voir aussi la campagne du CEPAG sur le même sujet ici
Une interview de Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles.
Alors que le débat sur la limitation des allocations de chômage et les attaques contre les droits sociaux s’intensifient, Florence Lepoivre, Secrétaire générale de la FGTB Bruxelles, revient sur deux études récentes : l’état des lieux du marché de l’emploi bruxellois publié par View.brussels[1] et le panorama de la situation socio-économique bruxelloise de l’IBSA[2].
Les dernières données disponibles sur le marché de l’emploi et la situation socio-économique bruxelloise semblent encourageantes. Partagez-vous ce constant ?
View.brussels constate qu’en cinq ans, la part de la population au chômage a diminué de 11,4 %, tandis que la part des personnes à l’emploi a augmenté de 13,7 %. Ce sont des bonnes nouvelles, surtout dans un contexte où la population bruxelloise a augmenté de près de 30 % depuis 2000 pour atteindre plus de 1,2 million d’habitants en 2023.
De son côté, l’IBSA confirme que la population effectivement à l’emploi n’a jamais été aussi élevée. Le taux d’emploi a atteint 60,6 % en 2024, ce qu’il qualifie d’inédit depuis quarante ans.
Paradoxalement, les chiffres IBSA révèlent que le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté, notamment à cause de la modification des procédures d’inscription des bénéficiaires du CPAS comme demandeurs d’emploi.
Ces chiffres montrent un double défi : maintenir cette dynamique positive tout en répondant aux besoins des personnes les plus éloignées du marché du travail.
Face à cette amélioration des chiffres de l’emploi, n’est-il pas contreproductif de vouloir limiter dans le temps les allocations de chômage ?
Absolument. Les attaques contre les droits des chômeurs, comme les sanctions accrues, la dégressivité du montant des allocations de chômage et les restrictions d’accès aux allocations, n’ont cessé de s’intensifier.
Avec le MR et la N-VA, le futur gouvernement fédéral a clairement affiché son intention de poursuivre le démantèlement progressif de notre système belge d’indemnisation du chômage et plus largement, de la sécurité sociale.
Pourtant, toutes les études (UCL, ONEM, IRES, OCDE,…) démontrent que ces mesures non seulement ne favorisent pas le retour à l’emploi, mais qu’elles aggravent la précarité, en appauvrissant particulièrement les jeunes, les femmes, les travailleurs âgés…
Je vous donne un exemple très concret : en 2015, suite à la limitation dans le temps des allocations d’insertion, 77 % des personnes exclues n’ont pas retrouvé d’emploi, et parmi elles, deux tiers étaient des femmes. Ces chiffres illustrent bien l’inefficacité de ces politiques.
À la FGTB, nous l’avons maintes fois souligné et démontré : limiter les allocations de chômage dans le temps est une mesure profondément injuste et inefficace. Elle toucherait en effet les chômeurs de longue durée, qui sont justement les plus éloignés du marché du travail.
À Bruxelles, plus de la moitié de ces personnes a plus de 50 ans, ce qui aggrave encore leur difficulté à retrouver un emploi.
En 2023, 140.000 personnes étaient au chômage depuis plus de 2 ans, et plus de la moitié l’étaient depuis plus de cinq ans. Croire qu’en supprimant leurs allocations, ils retrouveront un emploi est absurde.
Une étude du Dulbea démontre que seuls 26,3 % des chômeurs bruxellois concernés retrouveraient un emploi. Cette mesure ne ferait qu’accentuer la pauvreté et alourdir la charge des CPAS, tout en dégradant les conditions de travail des salariés en général.
Si ces attaques contre les droits sociaux ne sont pas efficaces, quel est leur objectif ?
Je peux vous garantir que si l’objectif est de faire des économies, cette mesure ne remplira certainement pas les caisses de l’État ! Le chômage complet indemnisé ne représente qu’environ 3 % du budget global de la sécurité sociale. Il est donc grand temps d’arrêter de propager l’idée fausse selon laquelle les chômeurs coûteraient trop cher aux finances publiques !
L’objectif du futur gouvernement est clair: fragiliser les travailleurs pour les forcer à accepter des emplois précaires. C’est une stratégie qui exerce une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail, et elle profite avant tout aux employeurs en quête de main-d’œuvre bon marché.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2009 et 2019, 65 % des emplois créés à Bruxelles étaient précaires, notamment des temps partiels subis, des contrats temporaires et des faux indépendants. Ces emplois précaires touchent principalement des publics déjà discriminés ou fragilisés : les femmes, les jeunes et les personnes d’origine étrangère.
Quels leviers devraient être actionnés pour améliorer la situation de l’emploi, en particulier à Bruxelles ?
Il est temps de cesser de stigmatiser les chômeurs et de s’attaquer aux véritables causes des problèmes du marché de l’emploi. Ce n’est pas en appauvrissant une partie de la population qu’on construit une société juste.
À la FGTB, nous appelons à des politiques d’emploi qui renforcent les droits sociaux, investissent dans l’humain et responsabilisent les employeurs. Une économie forte repose sur des travailleurs respectés et un dialogue social constructif.
À Bruxelles, le défi est d’autant plus important que près de la moitié des chômeuses et chômeurs de longue durée ont plus de 50 ans. Ces personnes, déjà fragilisées sur le marché du travail, seront particulièrement touchées par une limitation dans le temps des allocations de chômage, alors même qu’elles ont de faibles chances de retrouver un emploi.
Un autre levier essentiel est de simplifier et rendre accessible la reconnaissance des diplômes étrangers. En mars 2023, 43,5 % des demandeurs d’emploi inscrits chez Actiris étaient classés dans la catégorie « étranger sans équivalence », représentant environ 38 300 individus. Ces personnes, souvent qualifiées, se heurtent à des obstacles administratifs et financiers qui empêchent la valorisation de leurs compétences, privant le marché de l’emploi de ressources précieuses.
L’investissement massif dans la formation et l’accompagnement personnalisé doit aussi rester une priorité pour favoriser l’insertion professionnelle durable. À Bruxelles, 64,9 % des emplois sont occupés par des diplômés du supérieur, ce qui reflète une économie fortement tertiarisée et exigeante en termes de qualifications. Les postes nécessitant de faibles qualifications ne concernent qu’un emploi sur dix à Bruxelles. Pourtant, en 2023, 16.500 demandeurs d’emploi n’avaient qu’un diplôme de l’enseignement secondaire inférieur.
Nous devons enfin responsabiliser les employeurs de la capitale. Cela passe par l’obligation de communiquer leurs offres d’emploi à Actiris, afin de mieux objectiver les fonctions en pénurie et de garantir une transparence sur les opportunités et la qualité des emplois proposés. Cela passe aussi par le respect de leurs obligations en matière de formation, pour améliorer les compétences des travailleurs et favoriser leur maintien dans l’emploi. Il faut aussi favoriser la création d’emplois de qualité, notamment pour les publics discriminés ou fragilisés. Nous devons également définir ce qu’on entend par un « emploi de qualité » et lier les aides aux entreprises à cette notion. Il faut enfin lutter plus intensément contre les pratiques de discrimination à l’emploi.
Ces mesures, si elles sont adoptées, peuvent réellement transformer le marché de l’emploi bruxellois en le rendant plus inclusif, équitable et durable.
Vous trouvez que la qualité de l’emploi à Bruxelles laisse à désirer ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes… Entre 2009 et 2019, 65 % des emplois créés étaient précaires : temps partiels subis, contrats temporaires, intérim, faux indépendants, ou travail au noir. Ces emplois précaires touchent de manière disproportionnée des publics discriminés : 90 % des jeunes femmes peu qualifiées occupent un emploi précaire à Bruxelles et 53 % des jeunes de 15 à 24 ans sont employés dans le cadre d’un contrat temporaire.
D’après les chiffres de View.brussels, en 2023, 14,6 % des travailleurs bruxellois avaient un emploi temporaire, un taux supérieur à celui observé en Wallonie et en Flandre. Chez les femmes, ce chiffre atteint 15,6 %. En Wallonie, seuls un tiers des offres d’emploi sont des CDI, et en Flandre, ce chiffre atteint à peine 39 %. À Bruxelles, bien que 50 % des offres soient des CDI, plus d’un tiers sont des missions d’intérim, ce qui augmente encore la précarité de l’emploi.
Quels obstacles freinent encore l’accès à l’emploi pour de nombreux travailleurs à Bruxelles ?
Au-delà des problèmes liés aux pratiques de discrimination ou de surqualification à l’embauche de certains employeurs, je pense encore à la question de la qualification. Les demandeurs d’emploi peu qualifiés peinent aujourd’hui à trouver leur place sur le marché de l’emploi bruxellois.
Malgré une baisse continue de la proportion de demandeurs d’emploi peu qualifiés ces dix dernières années (passant de 65,9 % en 2013 à 61,7 % en 2023), cette population reste fortement surreprésentée. Les taux de sortie vers l’emploi pour les moins qualifiés restent particulièrement faibles, ce qui accentue leur exclusion.
Il est donc impératif d’investir massivement dans l’accompagnement personnalisé pour permettre à ces travailleurs d’acquérir les compétences demandées sur le marché bruxellois. Des initiatives ciblées sont nécessaires pour répondre à la problématique et permettre à ces personnes de s’adapter aux exigences d’un marché du travail en constante évolution.
Par ailleurs, ces efforts doivent s’inscrire dans une stratégie globale qui valorise à la fois la reconnaissance des compétences existantes et l’accès à des parcours de formation adaptés. C’est ainsi que nous pourrons non seulement lever les barrières structurelles à l’emploi, mais aussi créer des opportunités pour les publics les plus fragilisés.
[1] l’Observatoire bruxellois de l’emploi et de la formation d’Actiris
[2] L’Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse de perspective.brussels
Supernote De Wever – Bouchez : « Un projet de gouvernement qui détruit les droits sociaux et sabote les finances communales »
Une interview de Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles
Les CPAS sont déjà à bout de souffle après plusieurs crises successives. Entre la crise Covid, la crise énergétique et l’augmentation des publics fragilisés, les CPAS bruxellois sont confrontés à une augmentation exponentielle des bénéficiaires. Cette surcharge met à rude épreuve leurs capacités organisationnelles et financières. C’est dans ce contexte tendu que la supernota de De Wever – Bouchez propose une mesure qui pourrait les pousser à la rupture : la limitation des allocations de chômage dans le temps.
Pour mieux comprendre les impacts de cette mesure sur les communes bruxelloises, nous avons interrogé Florence Lepoivre, secrétaire générale de la FGTB Bruxelles. Elle nous livre ses inquiétudes quant aux conséquences dramatiques de cette réforme sur les finances publiques, les CPAS et les travailleurs de la Région bruxelloise.
Quel serait l’impact de cette réforme à Bruxelles ?
À Bruxelles, cette réforme toucherait près de 30.000 personnes, soit la moitié des chômeuses et chômeurs bruxellois. Parmi eux, les jeunes de 18 à 25 ans sont particulièrement concernés. Cette tranche d’âge représente un tiers des bénéficiaires du RIS, et est déjà la plus touchée par la pauvreté. Cette réforme risque de précariser encore plus ces jeunes, compromettant leur avenir.
Certaines communes, comme Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe ou Woluwe-Saint-Pierre, pourraient voir la demande de RIS augmenter de 40 à plus de 100 %. Selon une étude de Brulocalis, l’impact financier serait colossal : si 100 % des 27 709 demandeurs d’emploi indemnisés de plus de 2 ans sollicitaient le RIS, le coût total annuel pour les pouvoirs locaux s’élèverait à 121,2 millions d’euros. Même dans un scénario plus réaliste, où 60 % des chômeurs de longue durée feraient appel au RIS, le coût serait tout de même de 72,7 millions d’euros par an à charge des communes.
On peut donc dire avec certitude que l’Arizona nous enfume ! Cette mesure n’est pas une mesure d’économie, mais simplement un transfert de charge du fédéral vers les communes, les CPAS et in fine la Région bruxelloise ! C’est aussi une régionalisation déguisée d’une partie importante de la sécurité sociale, qui met encore plus de pression sur des finances locales déjà fragilisées.
Les CPAS, qui sont déjà sous pression, ont-ils la capacité d’assumer cette charge de travail supplémentaire, tant au niveau financier qu’en termes de personnel ?
En plus du coût des allocations, les CPAS devront aussi couvrir les frais liés au personnel, à l’encadrement et aux infrastructures pour faire face à l’augmentation des demandes. Le scénario médian, estimé par la fédération des CPAS, prévoit qu’environ 60 % des chômeurs de longue durée demanderont le RIS, entraînant un coût annuel de 93 millions d’euros. Ce montant inclut les dépenses nécessaires à l’embauche d’assistants sociaux et de personnel administratif pour traiter ces nouveaux dossiers.
Le public qui s’adresse aux CPAS a également changé : les demandeurs sont non seulement plus nombreux, mais ils présentent aussi des problématiques plus complexes et diversifiées. Cela alourdit non seulement la charge de travail, mais pèse également sur le bien-être psychologique des travailleurs sociaux, qui se retrouvent de plus en plus souvent confrontés à des situations difficiles à gérer. Ce sont des dossiers plus lourds, ce qui ajoute encore à la pression que subissent les équipes déjà débordées.
Pour compliquer la situation, la supernota De Wever – Bouchez propose de lier les subventions des CPAS aux résultats obtenus en matière de réinsertion professionnelle. Cette approche est non seulement contreproductive, mais elle signifie une pression supplémentaire sur des travailleurs sociaux déjà à bout. 60 % des chômeurs de longue durée sont sans emploi depuis plus de cinq ans. Conditionner les subventions aux résultats est à la fois irréaliste et injuste.
la réforme pourrait entraîner une augmentation importante du nombre de personnes inscrites au CPAS dans les différentes communes de Bruxelles, avec des pics alarmants dans certaines d’entre elles
Le non-recours aux droits est une réalité à Bruxelles. Cette mesure risque-t-elle d’aggraver encore la précarité ?
Oui, absolument. C’est déjà une réalité préoccupante à Bruxelles : de nombreuses personnes renoncent à demander l’aide qui leur est due, souvent en raison de la complexité administrative ou de la stigmatisation. Avec cette nouvelle mesure, ce phénomène risque de s’intensifier, ce qui accentuerait encore la précarité dans une Région où le taux de pauvreté est déjà très élevé. Cela priverait davantage de familles des aides essentielles auxquelles elles ont droit, aggravant ainsi les inégalités à Bruxelles.
Vous évoquez une dégradation des conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs. Pouvez-vous nous expliquer ?
On pousse les chômeurs concernés à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quelles conditions. Cela aura évidemment un impact direct sur eux, mais aussi sur l’ensemble des travailleurs. En tirant vers le bas les conditions salariales et de travail, c’est tout le système qui se dégrade ! Et à terme, tous les travailleurs vont en pâtir. C’est une véritable menace pour le marché du travail dans son ensemble.
Quelles leçons peut-on tirer à la veille des élections communales ?
Il faut tirer des conclusions claires en pleine campagne communale. Le MR et les Engagés nous promettent monts et merveilles, mais une fois au pouvoir, qu’est-ce qu’ils font ? Ils s’allient à la N-VA pour démolir notre protection sociale, appauvrir les familles et détruire les finances communales ! Et au final, ces communes ne pourront plus assurer les services essentiels à la population. Il faut en être conscient au moment de voter et ne pas croire aux promesses de ces partis !